Une vision … entre terrain, recherche et politique !
Des espaces, du temps, des approches, de la recherche « séniors admis »... Autant d’objectifs de la recherche interventionnelle de l’Observatoire de la santé du Hainaut pour mener à bien l’implantation de la démarche Ville amie des aînés de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Wallonie. La Ville de Mons a été la première à répondre à l’offre de service de chercheurs-acteurs de la promotion de la santé et de la participation sociale des aînés.
A la lumière de l’évaluation des projets soumis à la Région wallonne dans le cadre d’un appel en 2012 et de l’expérience montoise, ce séminaire « Age-friendly » tente de faire le point en Belgique sur les questions de recherche et de méthodes. La question de la participation et de l’aménagement des temps des aînés, des professionnels, des décideurs et des scientifiques est en particulier interrogée.
L’âge de la vieillesse, qu’on se figure communément comme celui du temps figé, du temps qui s’arrête, des habitudes qui s’enracinent… est aussi, paradoxalement, un temps de bouleversements et de profonds changements. A travers cette communication, l’intervenante envisage alors le vieillissement sous l’angle des transitions qu’il implique, dans les aménagements du quotidien.
Avoir recours à une aide technique (déambulateur, canne, chaise roulante, …), recevoir des aides de la part de professionnels (pour la toilette, pour les courses, …), repenser l’agencement de son domicile ou revoir son lieu de vie… autant de décisions qui s’imaginent, s’installent ou s’imposent au fil du vieillissement.
Or, ces petites et grandes décisions sont au cœur d’une série d’enjeux et de tensions, pour la personne âgée et son entourage. Parce qu’elles sont liées aux questions de la responsabilité, de l’identité, du risque et de la liberté, ces décisions sont l’objet de multiples négociations, dans les familles. L’analyse de ces négociations, de ces décisions qui se prennent ou ne se prennent pas, nous donne alors des clés pour décrypter de nombreuses situations, débats, conflits, blocages… au sein des familles et auprès de la personne âgée.
Genre, désir et infamies de l’avancée en âge
« Je ne me sens pas vieux », clament la plupart des aînés. Cette affirmation nous en dit beaucoup sur la stigmatisation entourant la vieillesse ; une stigmatisation qui, de manière générale, avec le vieillissement de la population, s’est ancrée de façon ‘naturelle’. En ce compris l’inquiétude croissante à propos de la soi-disant « bombe à retardement démographique » que représente le vieillissement général de la population de par le monde. Ce désaveu de la vieillesse, cependant, souligne également le vertige temporel auquel nous sommes sans aucun doute confrontés à mesure que nous vieillissons, lorsque nous envisageons la multiplicité des trajectoires vécues et leurs fractures, qui ont eu un impact sur ou influencent encore le cours de notre existence.
L’intervenante s’attarde en particulier sur quelques-unes des blessures narcissiques qui, l’âge avançant, accompagnent le désir et, bien que indifféremment partagées par les femmes et les hommes, présentent habituellement une dynamique de genre contrastée. Les détresses vécues par les hommes en regard du désir ont tendance à suivre les lignes de faille phalliques du dysfonctionnement érectile, avec sa puissante charge symbolique. Elles conduisent cependant rarement les hommes à renoncer à leur désir. En revanche, les outrages du temps révélateurs entourant le vieillissement des femmes dans leur chair ont été davantage susceptibles de les conduire, volontairement ou non, à renoncer totalement au terrain de la passion sexuelle, c’est du moins ce qu’elles affichent.
* Engagée dans les combats féministes et de gauche dès son arrivée à Londres en provenance de Sydney au début des années 1970. Lynne Segal a écrit de nombreux livres sur le féminisme, le genre et la politique, entre autres Is the Future Female? Troubled Thoughts on Contemporary Feminism; Slow Motion: Changing Masculinities, Changing Men; Straight Sex: The Politics of Pleasure; Why Feminism? Gender, Psychology & Politics; Making Trouble: Life & Politics. Son dernier livre s’intitule Out of Time: The Pleasures & Perils of Ageing. Elle s’interroge actuellement sur les moments de joie collective, ce qui reste après la marchandisation du bonheur et du bien-être.
Vieillir ne va plus soi. L’expérience du vieillissement se déploie aujourd’hui dans des sociétés traversées par les discours de santé publique qui nous rendent responsables de notre « bien vieillir », par les injonctions à lutter contre les effets visibles de l’âge portées par les médias et l’industrie cosmétique, mais aussi par les promesses de la recherche scientifique et de la médecine quant à de possibles thérapies du processus même de vieillissement. Le rôle de cette pathologisation du vieillissement dans les discriminations dont font l’objet les personnes vieillissantes, et tout particulièrement les femmes, est à interroger.
En nous appuyant sur la notion d’interprétation, nous tenterons de rendre compte de cette expérience contemporaine féminine du vieillissement. Nous nous appuierons principalement sur les données quantitatives et qualitatives collectées lors d’un focus group virtuel réunissant, pendant deux semaines, plus de 200 femmes françaises âgées de 20 à 70 ans. La mise à jour de ce travail d’interprétation en ses formes multiples nous conduira à souligner la nécessité de laisser exister et de faire connaître les différentes cultures du vieillissement afin que chacun puisse, à distance des discours normatifs, forger son vieillir.
L’adaptation d’une personne âgée en établissement d’hébergement, lit-on et entend-on, serait facilitée si l’entrée dans cette dernière demeure est suffisamment anticipé, si elle se fait par choix, alors que la personne est encore en possession de tous ses moyens. Dans les faits, peu nombreux sont ceux qui appliquent cette recommandation. Dans de nombreux cas, le départ du domicile se fait en urgence, suite à une aggravation de l’état de santé ou à une chute. Très souvent, la personne part alors pour l’hôpital ; et après quelque temps, la décision est actée : elle ne peut pas « rentrer chez elle ». Comment entrer en institution quand on ne s’était pas préparé à y finir ses jours ? Comment quitter son domicile sans même, parfois, y repasser une dernière fois ? Comment trouver les moyens de financer le séjour en établissement tout en ne vendant pas, ou du moins pas trop vite, sa maison ou son appartement ?
Autour du vieux parent, des aidants familiaux s’activent, ou se tiennent à distance. Entre engagement et désengagement, c’est en famille que se gèrent l’urgence du départ, puis l’installation dans une nouvelle routine, dans de nouveaux lieux. Face à la décision de l’entrée d’une personne âgée en établissement, s’arranger en famille pour conserver les lieux de vie et les objets du quotidien, ne pas trop se rapprocher d’un héritage anticipé, est presque un impératif moral pour qui veut faire partie du collectif familial. Gérer les temps et gérer les lieux vont de pair : bien souvent, c’est lorsque l’on a les moyens de maîtriser les seconds, que l’on peut se rasséréner sur notre maîtrise des premiers.
La prévoyance funéraire, c’est-à-dire l’ensemble des démarches entreprises pour financer et organiser ses propres obsèques de manière anticipée, constitue une forme atypique d’aide dans la mesure où elle concilie souci de l’autre et de soi. Si elle vise à épargner à ses proches le coût financier de ses obsèques et diverses tâches administratives, la démarche obéit aussi à une logique identitaire qui s’exprime dans les décisions prises concernant le déroulement du rituel funéraire, celle-ci étant plus ou moins affirmée et élaborée selon le niveau de ressources culturelles. Pour autant, la prévoyance funéraire n’entraîne pas une appropriation du rituel par le futur défunt lui-même. La personnalisation de ses obsèques s’effectue dans un cadre légal et rituel certes contraignant, mais normé et régulé par différents acteurs sociaux ; elle est d’abord menée dans l’idée de faciliter la tâche des proches.
Par ailleurs, la souscription d’un contrat obsèques intervient aussi en réponse au vieillissement et à la fin de vie de proches. La charge
des soins apportés aux proches malades ou mourants, les contraintes qui pèsent alors sur l’entourage, favorisent la réflexion personnelle sur sa propre avancée en âge, en même temps
qu’elles renforcent la hantise de « peser » sur les autres. Ces expériences marquantes contribuent en effet à la redéfinition des modèles contemporains du « bien vieillir » et
de la « bonne mort », comme de leurs contre-modèles.
Enfin, la posture de non-ingérence que les enfants entendent généralement privilégier, suggère que leur statut de bénéficiaire d’une aide parentale, fût-elle différée, leur confère une moindre légitimité à intervenir dans un champ décisionnel que le souscripteur s’est octroyé. La « bonne » attitude filiale consiste alors à ne pas interférer dans les décisions parentales. Ainsi, la prévoyance funéraire rappelle que malgré les évolutions fortes qui la traversent, la sphère familiale reste caractérisée par des droits et des devoirs – droit d’organiser ses propres obsèques, devoir de réserve auquel les enfants estiment avoir à se plier.
Au cours de l’avance en âge, une faible proportion d’individus rencontre des difficultés à prendre des décisions en matière de lieu et de mode de vie qui préservent leurs intérêts. Dans certains contextes d’altération des capacités, une protection juridique est prononcée par un juge : une curatelle (mesure d’assistance) ou une tutelle (mesure de représentation). Elle porte sur les actes administratifs et de gestion mais aussi, de manière variable, sur la protection de la personne et son exercice est confié à un parent ou à un professionnel.
Un ensemble de recherches menées sur des dossiers de décisions et des entretiens réalisés auprès de personnes concernées et de leur tuteur ou curateur permettent d’identifier les déclencheurs de ces demandes. Ces personnes font l’expérience de désajustements à la norme du « temps maitrisé » privilégiée en matière d’organisation du quotidien, de dispensation des soins et de prévision, d’anticipation de décisions. Elles ne parviennent plus à faire reconnaître leurs avis ou la préservation de leurs intérêts est source de divergences entre les parents. (…).
Par ailleurs, l’hétérogénéité de l’exercice des mesures de protection révèle des tentatives d’intrication entre une pluralité de temporalités, celle des vieilles personnes, celle du protecteur familial ou du mandataire professionnel et celle d’autres intervenants professionnels. Au-delà des actes routiniers de gestion, la pratique du mandat est ainsi plus ou moins étendue en matière de soin, de modes de vie, d’accès aux droits et de gestion patrimoniale, elle devient une ressource variable pour construire un accompagnement adapté à la situation au cours des transitions du vieillir.
L’espérance de vie a fortement augmenté au cours des dernières décennies. Cette évolution n’est pas sans poser de nouvelles interrogations quant à la qualité des années de vie gagnées, en particulier aux âges les plus avancés. Autrement dit, vivre plus longtemps nécessite de se demander dans quelles conditions et pour quels accompagnements. L’épisode de la canicule de l’été 2003 en France a, en effet, permis de sensibiliser l’opinion publique à la question du lien social et à son importance au fil de l’avancée en âge. C’est aussi ce que nous rappellent les nombreux suicides au grand âge qui révèlent la vulnérabilité de nombreuses personnes âgées, particulièrement exposées à ce risque.
« Plus d'une fois, dans sa petite chambre de la maison de retraite, elle y a pensé. Cacher ses somnifères, dans la boîte à pilules, pour les avaler d'un coup, et tout oublier. Institutrice à la retraite, très active toute sa vie, Marie, à 70 ans, ne supportait plus de traîner sa vieillesse comme une maladie "honteuse"». Ces propos, tirés d’un média national français, illustrent la détresse et la souffrance vécue par un nombre croissant de personnes âgées dans notre société. La plupart du temps, la description de ces situations s’accompagne d’un bref commentaire selon lequel ces personnes ont librement choisi de mourir. Rangées dans la rubrique fait divers, elles émeuvent d’ailleurs plus qu’elles ne questionnent vraiment. L’absence de travaux de recherche d’envergure sur cette question vient le souligner. Pourtant, plusieurs éléments de compréhension sont susceptibles d’être avancés pour expliquer la surmortalité suicidaire à ces âges de la vie : au-delà de motifs de santé, elle s’explique aussi par les profonds remaniements identitaires qu’impose le processus de vieillissement, notamment aux âges les plus avancés.
A partir d’entretiens qualitatifs menés dans le cadre d’une recherche portant sur les solitudes au grand âge, l’objet de cette communication est, précisément, de revenir sur les conditions sociales susceptibles de favoriser cette expression du mal-être chez les personnes âgées vieillissantes. Après avoir rappelé la réalité épidémiologique du phénomène suicidaire et ses principales caractéristiques à ces âges de la vie, quelques hypothèses sociologiques qui peuvent être formulées pour en comprendre les raisons sont passées en revue.